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Effets de la testostérone sur les ovaires et l’utérus chez les personnes trans

Attention : pour plus de clarté et éviter toute ambiguïté, cet article utilise des schémas ainsi que des termes directs, sans périphrase, pour désigner l’appareil reproducteur d’une personne dyadique assignée femme à la naissance, avant toute chirurgie

Je ne suis pas professionnel de santé. Je présente ici des faits provenant d’études scientifiques, qui peuvent servir de base de discussion avec vos médecins et soignants. Ne vous fondez pas uniquement sur cet article pour prendre des décisions médicales et dans le doute, consultez un professionnel.

Lorsqu’une personne trans débute un traitement à base de testostérone, il est rare que les professionnels de santé détaillent les effets que ce traitement aura sur l’appareil reproducteur (ovaire, utérus…) de leur patient. Certains médecins conseillent une opération chirurgicale afin de retirer l’utérus, ou les ovaires, sans s’être nécessairement renseignés au préalable. Le but de cet article est de présenter les résultats de quelques études scientifiques sur les conséquences d’un traitement hormonal à base de testostérone sur les ovaires et l’utérus des personnes transmasculines. Les effets sur le vagin et le clitoris ne seront pas présentés ici.

Cette revue de bibliographie a été réalisée en février 2020. Si vous avez connaissance au moment de la lecture de cet article d’autres études dont les résultats peuvent venir enrichir ceux présentés ici, n’hésitez pas à le préciser en commentaire ou par mail !

Quelques petites définitions pour commencer

Les articles scientifiques étant ce qu’ils sont, ils utilisent beaucoup de termes médicaux qui ne font pas partie du langage courant. La solution la plus simple, pour faciliter la compréhension de cet article, c’est de commencer par quelques définitions. Et comme un schéma vaut mieux qu’un long discours, voici ci-dessous une représentation (source : Wikipédia, image retaillée) du système reproductif ovaires-utérus-vagin.

Utérus et ovaires

Ce qu’on appelle couramment utérus est en fait composé de plusieurs parties dont l’endomètre, en mauve sur le schéma, et le myomètre.

L’endomètre est une muqueuse (comme l’intérieur de la bouche ou du nez, pour faire une comparaison approximative), très irriguée par des vaisseaux sanguins et dont l’épaisseur varie au cours du cycle hormonal (dû aux hormones « initiales » et pas à la testostérone). C’est l’endomètre qui est responsable des règles, quand il est évacué en l’absence de grossesse, puisque son rôle est d’accueillir un éventuel embryon.

Le myomètre est un muscle (zone indiquée « utérus » sur le schéma), dont la contraction est involontaire et dépend entre autres de facteurs hormonaux.

Au niveau des ovaires, on a aussi une bonne liste de termes à expliciter. L’un des rôles des ovaires est de produire des ovules (ou plutôt, normalement, un ovule par cycle). Les futurs ovules, qui sont stockés dans les ovaires dès la naissance, sont appelés des ovocytes. Pour devenir un ovule, un ovocyte aura besoin de maturer, et il le fera dans une structure appelée un follicule. Cette structure évoluera au cours du cycle pour permettre la maturation de l’ovocyte.

Notons qu’en fonctionnement classique, au début du cycle, chaque ovaire contient 5 à 10 petits follicules. Un seul ira à terme de sa maturation, on l’appelle le follicule dominant.

Bon ! On en a terminé pour le moment avec les termes compliqués. Passons à la suite !

Quels effets de la testostérone sur les ovaires et l’utérus ?

La prise prolongée de testostérone semble avoir, selon les études, des effets variables sur les tissus ovariens et utérins.

Modifications ovariennes

Le traitement hormonal semble mener à une multiplication des follicules dans les ovaires [4, 6, 9] , menant à un volume ovarien augmenté [4]. Les follicules sont plus nombreux qu’ils ne devraient l’être lors d’un cycle classique, et l’ovaire ressemble alors à un ovaire polykystique.

Qu’est-ce que le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) ?

Le syndrome des ovaires polykystiques est relativement fréquent, présent chez 10% des femmes environ avec des symptômes très variables. Il est dû à une production excessive d’androgènes (« hormones masculines »), en particulier de testostérone. Il peut mener entre autres à des troubles de l’ovulation, une absence ou une irrégularité des règles, et une « masculinisation » de la personne concernée.

Dans le SOPK, la maturation folliculaire est bloquée par l’excès d’androgènes et les follicules immatures s’accumulent, sans follicule dominant. Par échographie, on distingue en général de nombreux petits follicules, au moins 20.

Il faut savoir que le SOPK semble plus courant chez les personnes transmasculines avant tout traitement hormonal que dans la population moyenne [6]. Si vous présentez des symptômes, il est intéressant de savoir avant de commencer la testostérone si vous avez un syndrome des ovaires polykystiques, n’hésitez pas à en parler à votre professionnel de santé.

Pour en savoir plus, visitez le site de l’INSERM.

Attention cependant, il ne s’agit pas à proprement parler d’un syndrome des ovaires polykystiques, mais bien d’un résultat de la prise de testostérone. En réalité, le nombre de follicules observés serait moins important que dans le cas d’un « vrai » SOPK [4, 6]. Les tissus de l’ovaire, dans la partie externe (cortex ovarien), semblent aussi plus « rigides » suite à la prise de testostérone, une caractéristique qu’on retrouve chez les personnes ayant un SOPK. Cette rigidité pourrait compromettre la progression normale du développement des follicules [2].

Modifications de l’utérus

Les effets de la testostérone sur les tissus utérins semblent très variables selon les individus, peu importe la durée de traitement hormonal considérée. Plusieurs possibilités existent : soit l’endomètre est atrophié, comme chez une femme cis en ménopause ; soit il est actif et peut être observé dans des états correspondant à différentes phases d’un cycle menstruel classique (phase proliférative, phase de sécrétion).

Une étude sur 94 patients trans, de 22 à 38 ans et avec une prise de testostérone variant de 1 mois à 6 ans, a montré que 69% d’entre eux présentaient encore un endomètre actif malgré une absence de règles. Une atrophie était constatée dans 23% des cas [3]. Une autre étude, sur un petit échantillon de 12 personnes, montre un endomètre actif chez tous les patients, à différentes phases du cycle [9]. Une troisième, sur 112 personnes, observe une atrophie chez 45% des patients, après minimum 6 mois sous T [4]. Enfin, une étude réalisée sur 27 personnes trans montre que ceux-ci ont un endomètre atrophié et inactif [11].

Au niveau du myomètre, la prise de testostérone pourrait entraîner le développement de fibroïdes, des tumeurs bénignes (sans danger en elles-mêmes) mais pouvant causer des saignements et des douleurs. Une hypertrophie du myomètre peut également être observée. Ces modifications étaient présentes chez 58% des patients d’une étude portant sur 12 hommes trans [9]. C’est un nombre de patients vraiment réduit, et d’autres études devront venir confirmer ces résultats.

Risques de cancer

Historiquement, il a existé (et il existe certainement encore dans l’esprit de nombreux professionnels de santé) une inquiétude à propos d’un risque accru de cancer ovarien chez les personnes transmasculines sous testostérone. Cette inquiétude est due à deux facteurs : d’une part, elle s’appuie sur la supposition, en fait erronée, que la prise de testostérone fait que les ovaires deviennent exactement semblables à des ovaires polykystiques (voir encadré SOPK), alors qu’il s’agit plutôt d’une similitude. D’autre part, cela suggère qu’avoir un SOPK entraînerait un plus grand risque de cancer, ce qui serait réfuté par des études récentes [6].

Les études incluses dans cette revue bibliographique n’ont pas prouvé un risque plus élevé de cancer des ovaires pour les hommes trans [5, 7, 10]. Cependant, elles insistent sur la nécessité de réaliser plus de travaux sur le sujet, bien que le nombre limité de personnes transmasculines rende compliqué le fait de disposer d’un échantillon de taille suffisante. Les études actuelles n’ont pas toujours la qualité attendue pour tirer de réelles conclusions [7, 10].

Attention cependant : les personnes transmasculines restent bel et bien plus à risque que les femmes cis en termes de cancer des ovaires. En effet, il s’agit d’un cancer qui a un taux de mortalité très élevé s’il n’est pas détecté dans les temps (45% de survie en moyenne dans les 5 ans après le dépistage), et qui présente peu de symptômes donc qui est compliqué à détecter. Or les personnes transmasculines vont en moyenne beaucoup moins chez les gynécologues ou sages-femmes que les femmes cis et ont ainsi un suivi médical beaucoup moins régulier.

Et alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Après avoir lu toutes ces données, la grande question reste : du coup, concrètement, on fait quoi ?

Les données scientifiques disponibles actuellement suggèrent qu’il n’est pas nécessaire de réaliser de façon systématique et préventive une hystérectomie (ablation de l’utérus) et une ovariectomie (ablation des ovaires) chez l’ensemble des patients trans prenant de la testostérone. Aujourd’hui, on recommande de réaliser un suivi médical classique semblable à celui des femmes cis en termes de santé de l’utérus et des ovaires [3, 6, 10].

Des spécificités à prendre en compte

En cas de réalisation d’un frottis, examen de routine réalisé régulièrement lors d’un suivi classique, il est important de prendre en compte le fait que le patient est sous testostérone. En effet, la prise de testostérone peut mener à une atrophie des tissus du col de l’utérus, ceux-là même qui sont prélevés lors de l’examen. En raison de cette atrophie, chez les patients trans, les frottis présentent beaucoup plus de résultats qui seraient considérés comme anormaux chez une femme cis (cellules atypiques, lésions intraépithéliales, etc), avec 43% de cas « anormaux » contre 8% chez les femmes cis [1]. Ces résultats ne doivent pas mener à un faux diagnostic médical, par exemple de dysplasie du col. Attention à bien informer votre praticien ! Il est probable qu’il ne soit pas au courant même s’il est respectueux.

Un point de vigilance particulier est l‘apparition de saignements vaginaux, alors même que la testostérone a mené à l’arrêt des règles. En dehors d’un changement de dosage ou d’un arrêt de la testostérone, il est important en cas de saignements de le signaler à son médecin afin de réaliser les examens nécessaires. En cas de vaginectomie (opération visant à ne plus avoir de vagin, ce qui rend impossible certains examens), il est possible d’avoir recours à une échographie pour l’examen.

Si vous souhaitez avoir une hystérectomie et/ou une ovariectomie pour des raisons de dysphorie, pour se débarrasser de douleurs ou pour éliminer définitivement tout risque de cancer de ces organes, anticipez bien la chirurgie et le temps de repos nécessaire ensuite, et gardez bien en tête que si vous n’avez plus d’ovaires, il est impératif de continuer un traitement hormonal (testostérone ou, si vous le souhaitez plus tard, œstrogènes) toute votre vie. Il est dangereux de ne plus avoir d’hormones « sexuelles » dans l’organisme, or ce sont les ovaires qui sécrètent ces hormones dans le cas des personnes transmasculines.

Le point le plus important est donc de réaliser un suivi régulier par un gynécologue ou une sage-femme. Cela peut être très compliqué en raison de la dysphorie ou de la peur de tomber sur des praticiens peu respectueux. Pour trouver des soignants sensibilisés à la question, il est possible de passer par les réseaux sociaux (groupes Facebook, Twitter, Instagram), de faire marcher son réseau, ou de passer par des sites : la Base De Données Trans, le forum Trans District ou le site Gyn&Co. Notez bien qu’il est tout à fait possible de faire son suivi de routine par une sage-femme en libéral et pas par un gynéco. Les sages-femmes sont souvent plus ouvertes aux questions LGBT, plus respectueuses, et n’ont pas six mois d’attente pour la moindre consultation.


Si vous êtes venu à bout de ce long article, félicitations ! J’espère qu’il vous aura été utile, et si vous avez des remarques, des précisions ou autre, n’hésitez pas à les laisser en commentaire !
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Références

[1] Adkins, et al. «Characteristic findings of cervical Papanicolaou tests from transgender patients on androgen therapy: Challenges in detecting dysplasia.» Cytopathology, Juin 2018: 281-287.

[2] De Roo, et al. «Texture profile analysis reveals a stiffer ovarian cortex after testosterone therapy: a pilot study.» J Assist Reprod Genet, Septembre 2019: 1837-1843.

[3] Grimstad, et al. «Uterine pathology in transmasculine persons on testosterone: a retrospective multicenter case series.» Am J Obstet Gynecol, Mars 2019: 257.e1 – 257.e7.

[4] Grynberg, Michaël, et al. «Histology of genital tract and breast tissue after long-term testosterone administration in a female-to-male transsexual population.» Reproductive Biomedicine Online, Avril 2010: 553-558.

[5] Harris, Miles, Lauren Kondel, et Caroline Dorsen. «Pelvic pain in transgender men taking testostérone : assessing the risk of ovarian cancer.» Nurse Practitioner, 15 Juillet 2017: 1-5.

[6] https://transcare.ucsf.edu/guidelines/ovarian-cancer. s.d. (accès le Février 16, 2020).

[7] Joint, Chen, et Cameron. «Breast and reproductive cancers in the transgender population: a systematic review.» BJOG, Novembre 2018: 1505-1512.

[8] Lierman, et al. «Fertility preservation for trans men: frozen-thawed in vitro matured oocytes collected at the time of ovarian tissue processing exhibit normal meiotic spindles.» J Assist Reprod Genet, Novembre 2017, éd. 34: 1449-1456.

[9] Loverro, et al. «Uterine and ovarian changes during testosterone administration in young female-to-male transsexuals.» Taiwan J Obstet Gynecol, Octobre 2016: 686-691.

[10] McFarlane, Zajac, et Cheung. «Gender-affirming hormone therapy and the risk of sex hormone-dependent tumours in transgender individuals-A systematic review.» Clin Endocrinol, Décembre 2018: 700-711.

[11] Perrone, et al. «Effect of Long‐Term Testosterone Administration on the Endometrium of Female‐to‐Male (FtM) Transsexuals.» The journal of sexual medicine, Novembre 2009, éd. 6: 3193-3200.

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5 réflexions au sujet de “Effets de la testostérone sur les ovaires et l’utérus chez les personnes trans”

  1. Bravo !
    En tant que non binaire née homme, je suis loin d’être directement concernée mais en tant que scientifique, le ton de l’article est très juste. Les références sont mentionnées à chaque fois que c’est nécessaire, et il est rappelé en permanence qu’il s’agit « d’études », pas d’une vérité absolue.
    En science et surtout en médecine, le cas particulier est à distinguer de la généralité, car aucun modèle n’est tou à fait juste.
    Faites attention à vous, ciste situation est unique.

    Y a-t-il un article similaire pour l’autre sexe ? Ça m’intéresserait beaucoup. À défaut, de la documentation à me recommender ?
    Merci.

    J’aime

  2. Merci pour cet article. Je suis médecin généraliste, et je me posais la question du suivi pour dépistage du risque de cancer gynécologique des hommes trans. Grâce à vous j’ai un peu plus d’infos et me sens moins ignorante qu’avec ma formation initiale, lacunaire sur ce point.

    Aimé par 2 personnes

    1. Merci beaucoup pour votre commentaire ! Je suis très heureux d’avoir pu éclairer certains points, même si je n’ai pas de formation médicale mais juste l’habitude des revues de biblio. J’espère que la formation initiale pourra s’étoffer dans les années à venir 🙂

      Aimé par 1 personne

  3. Salut ! Je suis une alliée cisgenre, et j’ai quelques questions à poser notamment sur le sujet du suivi gynéco des personnes trans, mais aussi des maladies telles que le syndrome des ovaires poly chez ces derniers. Si tu acceptes d’y répondre, ça serait super 🙂

    J’aime

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